En sucette : Bayonetta VS l'industrie japonaise

Publié le par Sylvain Thuret

La nouvelle promesse de Platinum Games vient de sortir au Japon. Dans l'attente d'une sortie française prévue en janvier 2010, les premiers retours compatriotes du Moggy Aspi Show et de Gameblog parlent, je cite, d'une "tuerie monumentale". Si la concurrence occidentale, God of War 3 et Dante's Inferno en tête, n'a qu'à bien se tenir, Bayonetta pourrait bien être le salut du jeu vidéo made in Tokyo.



Haïku d'hiver
 
Janvier, il fait froid
Janvier Bayonetta
Dehors, la lune écarlate.
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January, be still
January, with your long dark hair
Outside, the moon lights a crimson glow.


Nippon ni mauvais : la Wii en trompe l'oeil
Malgré le succès mondial retentissant de la Wii, le jeu vidéo japonais est bel et bien en perte de vitesse créative et technologique. 2007 et 2008 ont été des années difficiles a négocier : le RPG, genre roi du Japon, a connu une série de demi fours successifs (Infinite Undiscovery, Last Remnant, Star Ocean 4), loin du rayonnement d'antan). La série sportive phare PES s'est enlisée année après année face à un Fifa surprenant de réactivité. Quant aux prochaines itérations des sagas Final Fantasy et Gran Turismo, leur reports successifs est un indicateur supplémentaire d'un passage à l'ère HD qui ne se fait pas sans douleur. Le retard technologique pris par le Japon, qui laisse perplexe au pays de l'électronique, s'accompagne d'une prise de conscience tardive : la reconnaissance finale d'un marché mondial, hors frontière. Un public qu'il faut désormais apprivoiser, apprendre à connaître. Si pendant des années les joueurs ont pesté contre les décisions de ne pas sortir des chefs d'oeuvre tels que Chrono Trigger en Europe, on constate aujourd'hui que la sortie d'un jeu "typique" et puissant comme Okami ne soulève pas vraiment "le grand public". Le marché à changé d'échelle, ce qui implique des attentes et des codes culturels qui divergent d'un continent à l'autre. Le Japon doit aujourd'hui se faire plus humble pour mieux connaître ce marché. Hors cette période d'ouverture et de trial and error se fait au moment où l'occident flirte constament avec l'excellence et ce dans tous les domaines.

C'est l'arrivée, en 2001, du géant américain Microsoft sur le hardware console, qui a remis en cause les vieux paradigmes Japan wars only (Sega Vs Nintendo Vs Nec, puis Nintendo Vs Sony). Les coups d'éclats successifs portés par les USA avec des titres comme God of War, God of War 2 sur une PS2 pourtant en fin de carrière, et surtout Gears of War 1/2 sur la nouvelle 360, ont acculé le Japon à reconnaître le talent occidental ainsi que leur propre retard. Forza Motorsport fait aujourd'hui la nique à Gran Turismo, niveau RPG Bioware a réussi la transition PC - consoles avec la sortie de titres incontournables comme Knights of the Old Republic et Mass Effect. Ubisoft est devenu un key player en s'installant notamment à Montréal et ce juste derrière Electronic Arts qui a décidé de sortir du mode photocopieuse pour donner un bon coup de boost à son FIFA et se lancer en 2008 dans de nouvelles franchises, en portant avec maestria l'incroyable recette de Resident Evil 4 à l'ère HD avec Dead Space
  
Ainsi Nintendo, qui d'un point de vue commercial a largement dominé ces dernières années, a cependant déclaré il y a quelques jours dans la bouche de Satoru Iwata, "avoir échoué" sur le plan créatif, conscient que leur incroyable succès axé joueurs occasionnels pourrait être une erreur sur le long terme, face à la montée en puissance des Uncharted 2 et autres Batman, qui se ramassent à la pelle. Les rumeurs vont d'ailleurs bon train concernant une Wii HD de plus en plus imminente, boostée au Blue ray.             

Capcom et la crise 
Aux avants poste de la lutte HD, on a bien senti que les efforts faits par Capcom n'ont pas été sans sueur, avec la production longue de titres à la limite du pari : 

lostplanet360-copie-1.jpg  - Lost Planet : il a été dit que le jeu avait été pensé pour le marché américain. 
 
- Devil May Cry 4 : l'objectif, répondre à God of War 2

- Street Fighter 4 : en dehors du Japon, l'occident se préoccupait-il toujours de jeux de baston, sur un plan 2D ? Apparement oui puisque le jeu a visiblement remporté un franc succès. Mais faire un Street Fighter, en 2008, à l'ère HD, tout en plaisant aux vieux de la vieille, c'était clairement une mission casse gueule.

- Resident Evil 5 : confié a une équipe de scribes obligés de recopier les saintes écritures de l'épisode 4, ils avaient pour obligation de proposer un hit instantané, alors même que ce dernier avait connu un succès tardif au travers de plusieurs rééditions post Gamecube, sur PS2 et la Wii. Si ce 5e épisode propose une partie audiovisuelle au niveau de l'occident... il est totalement plombé par un maniement rigide et dépassé, l'équipe étant restée totalement sourde et aveugle aux dernières avancées de Gears of War, Dead Space et Uncharted, qui permettent au joueur de viser et tirer tout en se déplaçant. Sans compter l'implémentation de possibilités multijoueurs cohérentes (Gears of War, Uncharted 2). Cet épisode portait beaucoup d'espoir et si le jeu s'est beaucoup mieux vendu que son illustre ainé, il a laissé une trace de souffre auprès des fans de Resident Evil 4 et de sa suite officieuse Dead Space. Sans parler de la "bourde africaine", nouvelle preuve que le Japon et le reste du monde, et bah c'est pas encore tout à fait ça. 
 
Dans son édition de décembre 2009, le magazine Edge consacre plusieurs pages intéressantes au TGS. Capcom y est désigné comme étant "le fer de lance du jeu vidéo HD à l'international". Cette position assez confortable ne semble pas pour autant réjouir Keiji Inafune, producteur en chef de la présente écurie. Très pessimiste sur la situation du jeu vidéo japonais, il déclare que "Japan is over, we're done, our industry is finished". Des propos que l'on peut rapprocher de ceux de Nintendo. La difficulté, voire l'impasse, est bien réelle. D'un côté l'argent de Big N engendré avec du "low tech", de l'autre des studios bien embêtés de s'adresser désormais à un public mondial, aux gouts difficiles à cerner et pris dans les filets de l'approche casual de Nintendo

 

De Clover à Platinum games : des gars bourrés de talon
Devil May Cry 4, Resident Evil 5... mais où sont donc passés les auteurs responsables des jeux originaux ? Ils ont quitté Capcom. La raison ? L'insuccès de la Gamecube. Après le démentèlement de Clover Studios et des déceptions commerciales du côté de Shinji Mikami, ce petit groupe s'est réuni au sein d'un tout nouveau studio d'abord nommé Seeds puis Platinum Games. Cette équipe est responsable des jeux les plus importants de cette première partie de la décennie, oeuvrant dans des genres aussi divers que l'enchantement absolu avec Okami, le brawler hardcore avec God Hand, le platformer FTL Viewtiful Joe, le survivor action avec Devil May Cry, et la fin de Hollywood avec Resident Evil 4... Le point commun de tous ces efforts ?  Tout remettre à plat et proposer de nouveaux horizons en mettant à jour les vieilles recettes. Cette attitude jusqu'auboutiste de paria "no surrender", on la retrouve dans le jeu le plus risqué de cette période créatrice, Killer 7. Et ces gens là nous ont offert les jeux les plus ambitieux... sur la console la plus conservatrice, autocentrée dans ses jolis enfantillages. En dehors de la critique et des joueurs initiés, une bonne partie de ces titres fut tout simplement ignorée du grand public lors de leur sortie. Après la fermeture du studio Clover, fonder un tel club des meilleurs des meilleurs est une réaction en phase avec l'attitude de leur jeux : "On ne baissera pas les bras. Mieux, on va botter des culs". 

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Le premier nom retenu, Seeds, illustrait parfaitement l'espoir que l'on avait en eux : remettre le jeu vidéo japonais au firmament artistique et commercial, avec une philosophie opposée à la direction casual prise par Nintendo avec la Wii. Si leur premier titre, Madworld, est bel et bien sorti sur la Wii dans un schéma proche de la période Gamecube - grand jeu, plateforme inadaptée en terme de cible, indifférence de Nintendo, critique au garde à vous et résultat similaire en terme de ventes - c'était avant tout il me semble un gallop d'essai. Produire le meilleur jeu possible sur une console accessible en terme de cout et de technologie et qui se trouve cruellement en manque de vrais jeux. Pour autant, l'équipe n'avait pas envie d'en rester là. Malgré des ventes décevantes (je n'étais pas loin de l'apoplexie quand j'ai appris cela), Platinum a toujours le soutien de son éditeur Sega, lui même en quête d'un second souffle identitaire après la mort de la Dreamcast, le sabordage de la mascotte Sonic et la décision de laisser Yu Suzuki se perdre dans la nature. Et très rapidement, l'annonce est bientôt faite d'un titre AAA à destination des consoles HD, avec Hideki Kamiya aux commandes, ayant pour mission de renvoyer les séquelles de Devil May Cry et autres God of War au bac à sable. Simple bravade, mission KamiYakaze ou dernière tentative solide mais risquée de renverser la vapeur ? Le fait est que moins d'un an après la sortie de Madworld, Bayonetta est disponible au Japon. Après la réussite commerciale mais illégitime de RE5 chez Capcom (largement due aux cendres encore chaudes laissées par le 4), un nouveau challenger semblait vouloir monter sur le ring "next gen".
 

T'as de beaux cheveux tu sais
 
Les déclarations du type "on va tout déchirer" en amont de la sortie d'un produit, les joueurs connaissent bien. Que le produit final soit à la hauteur promise et qu'il connaisse les honneurs du public, c'est autre chose. Pour être franc, Bayonetta, je n'osais pas trop y croire, même si je suivais ça avec un intérêt grandissant. Le look and feel s'annonçait encore plus excentrique que celui d'Otogi, les ambitions s'affichaient démesurée pour une poignée d'artisans, l'écart entre l'annonce et la sortie semble incroyablement faible au regard de de la norme... Un second plantage, HD cette fois, pour Platinum games, aurait des répercussions réelles sur l'industrie nippone. Il y aurait forcément un mécompte quelque part, quid au niveau technique, quid au niveau de l'intérêt, quid au niveau des ventes...  


Le jeu est sorti il y a une dizaine de jours au pays du pixel levant. Heureuse nouvelle ! Famitsu lui donne la note ultime et dans la foulée se classe premier des ventes. Les français qui s'y sont essayé parlent tous d'une énorme surprise. L'exécution technique et la maniabilité sont annoncées comme bluffantes. Rewind : au Festival du jeu vidéo Porte de Versailles en septembre, du monde s'attroupe devant le jeu, dont deux jeunes femmes au look agréable d'étudiantes en lettres, qui se demandent en coeur "Ca sort quand ça, bientôt ?". Et moi de répondre, avec un soupir, "en janvier Madame, en janvier !" Un soupir car une bataille à l'écran montrait un ennemi à l'échelle encore plus imposante que le colosse du premier niveau de God of War 2... sans aucun ralentissement à l'horizon. Les tricks hardcore de l'héroine ne semblent pas repousser le public, loin de là. C'est peut-être ce mélange de touche féminine débridée, de démesure et d'exécution sans faille qui semble susciter autant d'intérêt auprès des joueurs... et des joueuses ! 

La publicité japonaise parle de "non stop climax action", qui était déjà un peu le régime en surchauffe continue de Resident Evil 4. On balance un truc énorme, qui claque sur le siège, et on enchaine sur un truc encore plus énorme. Tout le temps. Bayonetta m'a imémdiatement fait cette impression là. Accompagné par les sorties très attendues de FF13 et Gran Turismo en mars, ce pourrait bien être là un tournant pour une industrie qui montre des signes de faiblesse. Qu'ils reviennent pour de bon dans la course... et pas seulement sur une balance !     

SOURCES

Platinum games : 

Platinum Games signe avec Sega :
Bayonetta - Le test import du Moggy Aspi Show :

Bayonetta - Girl on Fire :
Edge 203, juillet 2009, P.52-57

Bayonetta - Impressions de l'équipe de Gameblog : 
Le TGS 2009, reflet d'une industrie morose :
Edge 208, décembre 2009, P.32-52.
 

FF13 et l'envoyé occidental de Square. "La date de sortie chez les blancs ? Ils ne me l'ont pas dit, mais dès qu'ils le font, je ressors du chapeau" :  


Publié dans Gaming

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