Pix'elles : les femmes jouent le jeu

Publié le par Sylvain Thuret

De passage à la Cinémathèque fin octobre, je suis tombé sur une revue de cinéma UK, Filmwaves, un numéro de 2007 comprenant l'interview d'une développeuse sur les rapports entre les femmes et le jeu vidéo. En voici la traduction, just for you. 

KatieKatie Ellwood (nice hat!) conceptrice de jeux vidéo (The Gateway) et réalisatrice, explique à Filmwaves comment les femmes sont en train de changer le visage de l’industrie.
 

Marco Zee Jotti – Quels sont d'après vous les changements les plus significatifs de ces 15 dernières années pour l’industrie du jeu vidéo ?
Katie EllWood
:  Quand j’ai fait mes premiers pas dans cette industrie il y a 8 ans, cela ressemblait vraiment à une niche. Comme si on avait donné des ordinateurs très onéreux à des gosses en leur demandant d’en sortir quelque chose de fun. C’était une phase d’exploration et d’expérimentation, grevée par une carence au niveau de la gestion budgétaire (du moins du coté des créatifs). Nous avions certes la liberté de créer des jeux qui nous plaisaient... ce qui fonctionnait parfaitement si vous aviez la vingtaine (ce qui était le cas de 90 % des gens à l’époque), mais pour le reste... Je dirais que l’industrie est devenue plus mûre, de même que les développeurs. L’industrie vidéoludique bénéficie d’une attention médiatique globale plus accrue aujourd’hui. Fini le temps des blagues foireuses dans les affiches promo et les bugs frustrant. Les budgets sont plus importants, ainsi que les équipes, ce qui implique un planning plus précis. Nous en avons définitivement terminé avec l’ère du bricolage dans la chambre. C’est dommage pour de multiples raisons, mais c’est la seule direction raisonnable. Tant que nous gardons cette approche festive et ludique - croyez moi, dans mes collègues hommes et femmes, très peu ont atteint l’âge adulte - le fait d’être plus mature peut être bénéfique.

Roberta Williams jade Ass Creed Kellee Santiago

Les jeux vidéo sont devenus une pratique culturelle grand public. Quelle est le rôle et la situation des femmes designers, des développeuses mais aussi des joueuses ?
Il y a plus de femmes dans des postes de production et de création au sein de l’industrie : artistes, animatrices, manageuses. Cela étant dit, nous havons notre part de programmeuses et de façon générale le nombre de femmes dans l’industrie grandit chaque année. Cependant la queue pour aller aux toilettes est toujours la plus courte pendant nos fêtes de noêl, mon Dieu faites que cela demeure ainsi. La participation créative provient de toutes parts dans cette industrie. Si c’est une bonne idée elle peut tout à fait venir du plus jeune au plus expérimenté de l’équipe sans tenir compte de son sexe. Les femmes que je connais peuvent être très créatives sur le front des vannes qu’elles s’échangent. Du côté des joueurs, c’est plus une question pour les marketeux. Les titres sur lesquels j’ai pu travailler étaient plutôt orientés « males », ce qui veut dire que nous nous adressions principalement à eux, ainsi qu'aux qu'au joueuses accros (hardcore en VO). Mais avec la montée en puissance de titres conviviaux comme Singstar, Eyetoy, Guitar Hero, le parc de joueurs a certainement évolué au-delà des barrières sexuelles.

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Est-ce que les hommes et les femmes, garçons et filles, aiment différents types de jeu et recherchent différents types de plaisir en jouant ? Par exemple, est ce que les hommes préfèrent la compétition frontale, comme annihiler l’adversaire pour remporter la victoire, à l’opposé d’une compétition indirecte, où gagner n'impliquerait pas forcément de blesser des personnages du jeu. 
Je peux seulement vous donner mon opinion qui vaut ce qu’elle vaut au regard des études scientifiques, sociologiques et psychologiques réalisées actuellement. En général, je m’attache beaucoup plus à la notion d’individus. Je connais certaines filles complètement accro à Halo et d’autres qui ne supportent pas le kitsch des Sims. Les jeux sont très certainement orientés "garçon" ou "fille" au niveau de leurs thèmes, du packaging et tout ce qui attire un certain type de joueur vers un jeu. Cela dit, quand on en revient à la basse besogne d’appuyer frénétiquement sur les boutons d’un pad, déplacer la manette ou faire coucou de la main (quelque soit la manœuvre à effectuer), certains jeux ont le truc et d’autres pas. Par exemple, je ne suis pas sure que j’aurais joué à The Gateway (Team Soho, 2002 NDT) si je n’avais pas travaillé dessus. J’ai du prendre du temps pour y jouer correctement mais une fois que j’y étais, j’étais accro. Ce fut la même chose pour Halo, Tekken ou God of war, tous ces jeux où vous devez sérieusement vous accrocher avant de pouvoir vous amuser. Sans tenir compte de l’orientation je pense que si un jeu possède une bonne ergonomie, n’importe qui pourra y prendre du plaisir à son rythme. C’est la tentation initiale et la longévité d’un titre qui peut définir une orientation "garçon" ou "fille". Cela pourrait très bien être une histoire capable de retenir votre sensibilité, comme le classique japonais Ico. Ou bien des personnages archétypaux ou mignons à regarder (comme le prochain Little Big Planet). Ou bien une facilité d’accès immédiaté comme Locoroco. Ces qualités peuvent êtres perçues comme féminines.

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Devrions nous créer des jeux pour les filles, ou des jeux "tout public" ? Est-ce que les filles jouent d’une manière différente ?
Je pense que nous créons des jeux pouvant s'adresser à tout le monde et leur nombre grandit. Mais c’est une tendance marketing et le retour que j’ai des filles est "je ne veux pas y passer autant de temps". Ainsi elles s’y essaient 5 minutes et si cela ne leur plait pas elles reposent le pad. Les garçons ont tendance à être plus persistants. Ils regardent le jeu comme un moyen d’apprendre. Vous en retirez ce que vous y mettez. Les joueurs peuvent avoir un don et l’améliorer. J’ai juste l’impression que pour les filles il s’agit d’un talent qui ne sert à rien. Peut être que les hommes ont tendance à être plus compétitifs et les filles plus créatives. Mais même en disant cela je me rends compte qu’il s’agit d’une vaste généralisation. Prenons l’exemple de mon frère quand nous étions petits : il était toujours plus habile pour matraquer les boutons, réagir avec rapidité ou tirer avec précision (la coordination main-regard). J’étais plus douée pour résoudre les puzzles. Trouver les autres portes, tous les aspects les plus "lents" liés à un jeu vidéo. Que nous puissions en tirer une conclusion sur la population des joueurs hommes et femme, c’est une autre histoire. 

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Les personnages de femmes dans les jeux vidéo sont souvent des stéréotypes et n’occupent généralement pas le rôle principal du jeu. Pourquoi y a-t-il si peu de personnages féminins réellement jouables dans le jeu vidéo ? Quelles sont les exceptions ? Et comment ces exceptions sont apparues ?

Je pense que c’est une vision archaïque. Les jeux qui représentent des personnages de femmes de cette façon font de même avec tous leurs personnages.  Ces cinq dernières années, je pense que les équipes de développement ont fait quelques progrès dans la narration et la caractérisation des personnages… et pas seulement du côté des femmes. On pourrait dire que les jeux doivent aborder les mêmes enjeux que les films d’action en terme de caractérisation. Les personnages qui tuent, se battent, ou conduisent très vite ne correspondent pas vraiment à votre voisin ou voisine de palier. Ce sont des personnages atypiques. Aller dans ce sens vis à vis d'un personnage principal féminin dépend de votre croyance. Va-t-elle être le genre de nana après ses ongles ou bien un ninja sortie du berceau. Je peux vous citer quelques noms : Lara Croft de Tomb Raider, Nariko de Heavenly Sword, Jen de Primal. Comment sont nés ces personnages ? Des gens ont pris le temps de leur donner vie.



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Est-ce que Lara est une icône du féminisme ou un objet de désir numérique ?
La question n’est pas simple. J’ai d’abord joué avec Lara lorsque j’avais 18 ans et je la trouvais super. J’ai eu droit à toutes les variations possibles et imaginables de conversations tournant uniquement sur la largeur de sa poitrine. Nous avons tous connu les photos marketing la montrant nue, comme une pin-up, sans aucun rapport avec ses aventures. Que titiller le chaland ait été pris ou non en compte lors de sa création, elle demeure extrêmement agile et capable. Elle est forte. Elle n’est pas féministe. Elle est digitale. Et elle est très sexy. Je vote pour elle.
 
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Quels sont les bénéfices découlant d’une communauté plus large de joueurs ?

Un marché de masse. Plus la demande est variée et large, plus les jeux le sont. L’âge d’or du jeu vidéo, que les gens réfèrent aux années 80, était très créatif, avec des jeux très variés et novateurs. Nous traversons actuellement l’age des suites et des photocopies. Il est vrai que de temps en temps un jeu fait la différence, mais il y a beaucoup de stagnation et de répétition sur le marché. On fabrique le prochain hit, pas le jeu alternatif. Pour qu’il y ait plus de variété au niveau du public, il faut créer cette variété. Bientôt nous verrons apparaître des maisons dédiées au jeu vidéo indépendant.
 

silent hill posterQuelle est la relation actuelle entre le cinéma et les jeux vidéo ?
Cela se situe essentiellement au niveau de la production. Les compétences sont parfaitement commutables et nous voyons de plus en plus de transfert s’opérer au niveau des idées et des talents. Je pense que les adaptations des films vers les jeux et des jeux vers les films ont une relation étroite. Nous avons tellement appris de l’industrie cinématographique en terme de cadres et de scénarios. 

 

Publié dans Gaming

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