Série Noire et la "culture Cloclo"
Pour les besoins d'un mariage, j'ai pris Spotify d'assaut afin de proposer une liste de trucs dansables. Et j'ai interdit formellement l'utilisation de Claude François et plus particulièrement du combo Aretha Franklin/Boney M/Cloclo que l'on entend depuis dix ans dans TOUS les mariages, comme si les DJ du dimanche n'en branlaient pas une et se repassaient la compil. "Mais Claude François tout le monde danse dessus !" Oui et Hiroshima aussi a été un hit.
Voile sur les villes...
Dans Série Noire diffusé hier soir à titre "exceptionnel" (oui parce qu'il faut la mort d'un cinéaste aujourd'hui pour voir un bon film sur le petit écran), Alain Corneau tire à vue sur la banlieue et le climat délétère d'une passation de pouvoir entre les années 70 qui marquent clairement la fin d'une fête à peine entrevue et des années 80 incertaines, période marquée entre autres par la bétonnade dressée à l'écart de Paris, promesse d'une vie communautaire harmonieuse, mais qui déjà ici nous est montrée comme un no man's land où survivent les cafards. Soit le même climat que l'on retrouve, cette même glorieuse année 79, dans Buffet Froid de Bertrand Blier, fils de Bernard dit Raoul qui ici joue la figure d'un père supra putatif.
Et tandis que Franck Poupart s'époumone, figure aliénée au milieu de ce décor sordide, Alain Corneau lui plaque dans les oreilles, pendant tout le film, les tubes de Cloclo, comme pour exacerber le contraste entre une vision désespérée d'une France tenue sous respirateur à l'aide d'une guimauve dégoulinant des ondes, comme une drogue indolore que l'on donnerait à des chiens galeux pour les tenir en laisse.
Support : 33 Tours
Genre : BO de film
Auteur : Boney M, Shake, Claude François, Sheila, Ringo, Sacha Distel, Dalida...
Editeur : Carrere
Sortie : 1979
Lieu de pressage : France
En 79, Série Noire nous dit que ce masque de joie qu'est Claude François est un agent de contrôle, une boule de loto que l'on gobe, parce qu'il faut-rire-hein-bon-tiens-toi-tranquille-toi. Quant à la musique qui ouvre et termine le film, qui est celle que choisit Dewaere on the rocks lors de la première séquence, elle rentre véritablement dans le canon du genre noir, d'inspiration américaine, puisqu'il s'agit d'un morceau de jazz, en complète rupture avec le lieu et l'époque. Cette façon d'utiliser la musique comme repoussoir de valeurs contemporaines suintant dans les médias, se retrouve chez Scorsese avec Color of Money en 86. Martin commence son film sur fonds de tubes assez hideux pour délaisser progressivement les synthés, au fur et à mesure que le coeur du noeud dramatique se resserre sur la vieille garde représentée par Paul "Im back" Newman. En gros ça commence sur du Huey Lewis-like et ça se termine sur Charlie Parker. Et que dire de Bret Easton Ellis qui en 92 dans American Psycho coupait régulièrement la narration pour nous offrir sur plusieurs pages, entre deux meurtres perpétré par son yuppie, des critiques discographiques poussives et vides sur Withney Houston et Genesis. Etonning not?
"Je pensais que cette culture allait tout dévaster"
Aujourd'hui, il y a exactement une demie-heure, je tombe sur ces mots de Pascal Laugier, réalisateur de Saint Ange et Martyrs. Avec une poignée d'autres têtes brûlantes, ils dressent, dans un récent docu produit par Canal +, un constat alarmant de l'oubli collectif d'un cinéma de genre ayant totalement disparu des écrans français, celui là même dans lequel Corneau s'illustrait encore au début de sa carrière avec Série Noire. Passionnés de mise en scène, de cinéma fantastique, d'horreur et d'action, ils essayent de redonner une troisième voie au cinéma français engoncé dans, je les cite "le conformisme" et "l'horizon esthétique du téléfilm prime time sur France 2". Et Laugier parle ici, pour un autre canal, de ce combat avec la France molle.