I am a writer: Goo goo g' joob!

Publié le par Sylvain Thuret


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Les dernières vidéos du très cinématique Alan Wake de Remedy (Max Payne) confirment nos soupçons les plus éhontés : ça a bien la couleur d'un Silent Hill HD matiné de Kubrick, King et Carpenter, sauf que ça porte un autre nom. Avec, à la fin du tout dernier trailer, une accroche qui se pose là : My name is Alan Wake, I am a writer. 

Un homme seul, enveloppé dans la brume d'une petite bourgade vidée de ses habitants et devant faire face à des forces surnaturelles armé d'une lampe torche à la main. Difficile de savoir si l'on parle des quelques images que nous avons pu voir d'Alan Wake ou de son illustre ainé Silent Hill. Dans son essai intitulé Trigger Happy (Ed. Arcade), voici comment Steven Poole remettait quelque peu à sa place le tout premier épisode de la série de Konami, alors célébré partout, notamment pour ses "qualités cinématographiques" : 

"(...)during the game itself, the part you actually get to play, the graphics are of a far inferior quality, and occasionnal scenes of scripted dialogue between characters are incompetently written and amazingly badly acted.(...)If its supposed to be like a film in this way, its a film you wouldnt ever want to see".
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"(...) le jeu en tant que tel possède des graphismes bien inférieurs (à ceux de l'introduction vidéo) et les séquences d'échanges ponctuels entre les personnages sont écrites avec les pieds et incroyablement mal jouées (...) si cela est supposé "être comme un film", c'est un film que vous ne voudriez jamais regarder". 
 
Et d'écrire plus loin : "plot and characters are things videogames find very difficult to deal with". Soit une version à peine plus soft du tristement célèbre "Une  histoire et des personnages dans un jeu vidéo ? Et pourquoi pas dans un film porno pendant que vous y êtes" du sieur John Romero. Oui monsieur Doom, qui développe des moteurs graphiques hyper poussés mais qui pense que "les portes de l'enfer se sont ouvertes, vous êtes seul avec votre fusil à pompe" est un incipit propre à captiver les joueurs tout au long de ses jeux. Il a du je pense jouer à une version modifiée de Chrono Trigger, distribuée sous le manteau).  

Si dans ces mêmes pages, Steven Poole  n'exclut pas une amélioration voire une annexion d'Hollywood par l'industrie du jeu vidéo, le constat qu'il a pu en faire en 2004, sur un jeu datant de 1999, ne serait plus aujourd'hui valable. Pourquoi ? 

- De manière générale, les budgets et les équipes des projets ont décuplés, principalement en occident, le Japon ayant visiblement un peu plus de mal à suivre le train de la globalisation du marché et l'avènement de la HD;

- L'arrivée de graphismes et d'animations plus fines et complexes, notamment des visages et des corps, ont impacté une hausse de budgets consacré à la "caractérisation", au scénario, au doublage, au motion capture... si les premiers pas de la 3D ont eu les joueurs à l'épate, il n'est plus possible aujourd'hui de reculer en proposant systématiquement, à un public toujours plus large et adulte, des personnages génériques aux répliques maladroites "mais c'est pas grave ce n'est qu'un jeu". On dit ça et là que le Projet Natal sera le lieu d'une casualerie de plus. J'espère et crois surtout que les David Cage et Christophe Balestra du monde entier vont s'y engouffrer pour proposer des histoires et des expériences inédites, propres à tout remettre à plat. Sachant qu'Avatar a redonné un peu d'avance au cinéma sur le jeu vidéo. Ah il est fort ce Cameron. ;  

- Là dessus, on a vu le retour d'un discours "jeu vidéo = Hollywood reloaded". Après les premiers veaux d'or que furent les jeux vidéos en Full Motion Video (souvenez vous, le CDI a 5000 francs. Et dire que j'ai rêvé sur cette machine parce que les graphismes du jeu de golf étaient "comme en vrai") et les interminables discussions autour des cinématiques jugées tantôt envahissantes (place MGS2 here), tantôt techniquement supérieures au moteur du jeu (toute la période PS1 par exemple), la technologie permet aujourd'hui de produire des graphismes "ingame" qui supplentent à bien des égards les cutscenes d'hier. Le spectacle est devenu permanent, il n'appartient plus seulement à celui qui tient la manette et dirige le personnage. Le jeu solo se partage comme un film. 

Au fur et à mesure que les équipes maitrisent la technologie, elles se permettent des effets de mise en scène plus ou moins scriptées. Je dis plus ou moins car l'on évoque trop souvent les automatismes d'une série comme Call of Duty, qui vous épatent la première fois uniquement. Je me souviens d'un moment visuellement magique dans Shadow of the colossus, qu'il ne serait pas forcément aisé de reproduire, le jeu jouant sur un système de caméra et de cadre dans le cadre vous permettant d'être l'acteur et le metteur en scène de l'action. On pourrait également citer l'inclusion du chaos citadin avec la série GTA, qui peut amener des "moments" qui ne sont pas déclenchés mais du à vos actions propres mélangées au flow de la ville, de sa météo, ses habitants etc...

A côté de la tendance casual (Apprends a faire du poney avec mamie), du hardcore (Bayonetta) et du trip retrogaming (Asteroids en HD sur le Live 360) la direction la plus lourde de conséquences et la plus importante à mes yeux est bien celle entamée par les équipes aux intentions bien réelles de Naughty dog (Uncharted 2), Quantic Dream (Heavy Rain dont la sortie est imminente) voire même Sega avec sa série Yakuza (dont les épisodes 3 et 4 sont attendus en Europe).

Et alors que Silent Hill peine aujourd'hui à maintenir le cap - on sent bien que tout a été dit sur les deux premiers épisodes - avec un épisode 4 qui sentait déjà l'épuisement et un Homecoming sous traité aux states, Alan Wake pourrait bien remettre les pendules à l'heure, avec cette fois des graphismes à jour (même si on sent que le moteur du jeu n'est plus tout neuf, puisqu'en gestation depuis 5 ans) et surtout, une volonté affichée tambours battant de proposer des personnages, des dialogues, une histoire. En un mot comme en cent, de la fiction. C'est en cela que l'accroche finale "I am a writer" est une véritable déclaration d'intention. D'après le peu que nous savons, le héros du jeu serait un écrivain qui voit son oeuvre prendre vie sous ses yeux. La littérature et le cinéma fantastique semblent clairement être le moteur du titre, avec dans cette dernière bande annonce, un accent placé in fine sur les mots. Ce n'est pas "Je suis Alan Wake et ça va chier" qui nous est assené, mais bien "je m'appelle Alan Wake. Je suis écrivain".  

"Cela vous est caché mais ce sont les mots qui dirigent le monde", nous dit Leonard Cohen. Nous verrons bien quelle place aura le texte et les objets livre, machine à écrire ou computer dans le jeu. Et tandis qu'au Japon, Mikami et son équipe de surdoués sales gosses se battent brillamment pour conserver cette approche frénétique du joystick et la concilier au spectacle blockbustérien, avec une joyeuse façon de proposer sans cesse de l'excès, du mauvais gout, des scénarios insipides, ainsi qu'une attitude bravache & potache, on sent les européens prêts à quitter "l'ère de la pornographie et de la boyish culture", revendiquer une culture, et entrer de plein pied, après une trop longue période déterministe (la technologie comme seule locomotive, ou si vous préférez, 7/20 pour Rez en 2001 chez Jeuxvideo.com) dans l'ère de l'innovation narrative. 
Tremble Hollywood tremble.

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- Tu vas nous pondre du Alan Wake nom de Dieu oui !
- Jamais la grosse, jamais !
 

Encadré : le visuel utilisé pour la promo du titre emprunte beaucoup aux couvertures des romans de fiction US et leur adaptation ciné. Le personnage animé, perdu dans la brûme de son identité typographique massive, éclaire l'axe spectateur / objet du regard comme James Bond nous fige de son cher walter. On pense ainsi aux différents visuels de Dead Zone et The Mist de Stephen King, en allant jusqu'à The Fog de Saint John Capenter. Et pour la lampe et la brume together, à Silent Hill bien sûr. Cette présentation montre à la fois ses influences et cherche à imposer coute que coute sa marque ALAN WAKE, comme pour dire, "nous allons créer quelque chose d'unique dans le jeu vidéo, qui tient la dragée haute à cette qualité littéraire et cinématographique dont nous nous sommes inspirés". 

 

Publié dans Gaming

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